Je suis prêt à prendre les paris : si on éliminait (sans possibilité de se rabattre sur un équivalent) les quatre drogues principales, disons : le porno, le cannabis, l’alcool, les anxiolytiques (ok pour ce dernier, c’est simplement par cruauté que je l’ai rajouté ! lol), alors le pays ne tiendrait pas 3 mois (en vrai, je pense qu’au bout de 3 jours, il commencerait déjà y avoir des effets visibles). Comment en est-on arrivé là alors que nous baignons dans l’abondance ?
Les deux problèmes des lumières 1.0
Toutes nos conceptions actuelles sur l’homme, le monde et les institutions qui en découlent (politique, économique, juridique) ont été forgées autour et pendant le siècle des lumières. Il s’agissait de « Combattre l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme et les « superstitions » des siècles passés » grâce à la redécouverte des philosophes Grecs antiques notamment. Le monde allait être reconstruit sur la base de la raison et non de la foi.
C’était un beau projet à priori, mais il a souffert de deux gros problèmes dont nous subissons les conséquences de plein fouet actuellement et que vous pouvez facilement vérifier en « testant la matrice sociale ».
D’abord, les philosophes de l’époque, bien qu’ayant rejeté les dogmes de l’église et les superstitions païennes, n’ont pas vraiment changé de conception concernant l’homme parce qu’ils n’avaient pas de nouvelles connaissances. Une fois qu’on avait enlevé Adam et Eve de l’histoire, on n’en savait pas réellement beaucoup plus. Les nouveaux prophètes furent donc Platon, Aristote, et d’autres. La nouvelle Bible fût les Éléments d’Euclide, le livre qui fonde la géométrie, et l’arithmétique d’où toutes les autres sciences sont nées. On reprenait leur méthode, mais on partait de loin. La raison a remplacé la foi au pinacle, mais l’homme restait coupé de la nature : ce n’était plus parce qu’il avait une âme, mais parce qu’il était doué de raison.
Ça a l’air de rien dit comme ça, mais ça a eu un poids sur les découvertes scientifiques tout du long, parce que les gens moyens eux pensaient toujours dans le logiciel chrétien et qu’il y a eu des résistances. Par exemple, il n’y a jamais eu de « chaînon manquant », c’est simplement qu’on avait placé l’homme « à part » sur l’arbre phylogénétique, et donc, ça a créé une illusion qu’il manquait des fossiles.
Le deuxième problème, c’est que la spiritualité a été évacuée en même temps que les mythes et dogmes de l’église. Bien sûr, je sais que pour certaines personnes la spiritualité ça n’existe juste pas, ce sont des « croyances » dont la plupart des gens ont besoin pour se donner du courage face à l’adversité. Croire en Dieu, ça permet d’avoir moins peur de la mort. C’est vrai, dans bien des cas, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire : la spiritualité dite religieuse est difficile à séparer de la superstition.
Mais, il y a une autre spiritualité, non religieuse (que j’appelle païenne, même si c’est un abus de langage, car il faut bien lui donner un nom). C’est une science de l’auto-transcendance. C’est-à-dire, une science pour se transformer soi-même. Vous allez me dire, ha, je sais, on parle de développement personnel. Non, ce n’est pas ça, parce que la spiritualité est tournée vers le transpersonnel et non le personnel.
Prenons un exemple : imaginez que vous êtes en train de contempler la nature. Soudain, quelque chose lâche en vous, vous perdez le sens de vous-même, vos limites s’estompent, et vous « fusionnez » avec la nature environnante. Vous n’êtes plus tout à fait « vous-même ». Ce n’est pas du « développement personnel », ça va au-delà.
Hors, ces expériences « mystiques » étaient plus facilement tolérées sous le régime théologique. Il suffisait de dire qu’on avait ressenti la présence de la Vierge ou de Jésus et hop, le tour était joué. Probablement que les gens croyaient sincèrement avoir été connecté à Jésus ou Marie à ce moment-là.
Donc, vous voyez, les Lumières ont accompli un grand pas, mais elles l’ont fait avec un boulet attaché au pied. Grâce au progrès de la science dans les pays occidentaux, nous avons quasiment éradiqué la faim et les maladies contagieuses. La violence interpersonnelle a été réduite de beaucoup. Bien sûr, il reste la guerre, les maladies environnementales, trop d’inégalités. Mais ce n’est pas pour rien que le reste du monde nous copie, et nous avons accomplis tout ça sans l’aide de Jésus.
Les lumières 2.0
Les mentalités ont changé. L’église est tombée. Les « croyants » (dans la bible) se font rare et ont beaucoup de moins de poids dans la société. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les découvertes sont ultra nombreuses dans tous les domaines, et notamment un : les sciences cognitives.
Je crois que c’est de là vont venir les Lumières 2.0 qui vont finir le boulot entamé par les premières. (En simplifiant outrageusement) Depuis l’invention et la diffusion de l’IRM dans les années 90, les chercheurs ont commencé à « ouvrir » le cerveau et à regarder ce qui se passe dedans. Ils ont été surpris de constater que quand les gens méditent, il se passe vraiment des choses. C’est de là qu’est partie la « révolution de la pleine conscience » mais aussi d’un intérêt renouvelé pour la spiritualité à général.
Donc d’un côté, nous avons la science qui redécouvre la spiritualité, de l’autre, nous savons maintenant que l’homme n’est pas, ne peut pas être, « purement rationnel », bien qu’il puisse faire preuve de logique. La raison n’existe pas sans un corps. Il n’y a pas de raison sans émotion. La raison est et sera toujours biaisée. Pour le dire en mot simple, les sciences cognitives réhabilitent notre partie animale (notamment via la psychologie évolutionniste, absente du schéma qui, mais fait son chemin, surtout chez les anglo-saxons).
Vous voyez ce schéma extrêmement banal ? la raison ne s’oppose pas à l’émotion. C’est faux. La raison est fondée sur les émotions.
De même que la raison n’est pas censée s’opposer aux émotions, la spiritualité n’est pas censée s’opposer à la raison. Elle devrait être fondée sur la raison et la transcender (la dépasser). Nous sommes tellement habitués à opposer les 3 que ce que j’ai formulé risque de vous sembler très étrange.
Le biais qui fonde nos institutions, c’est que l’homme devrait s’en remettre à la « raison » : du moment qu’il est éduqué correctement, qu’il dispose des bonnes informations pour « raisonner », alors, il prendra une « bonne » décision. Si vous observez bien notre société, c’est son mythe fondateur, c’est le mythe des lumières. L’homme n’a pas besoin de spiritualité, il lui suffit de dominer ses instincts animaux grâce à sa raison bien « informée », et hop, tout ira pour le mieux.
Vous voulez vérifier ce que je dis ? C’est simple. Il suffit de sortir un peu de la matrice sociale ambiante. Je ne parle pas de se masturber au milieu d’un marché comme le faisait Diogène de Sinope pour dénoncer l’hypocrisie des gens de son époque. Essayez de justifier une décision que vous avez prise en l’expliquant par l’intuition ou l’instinct, vous verrez les réactions des gens. Dites-leur par exemple que vous avez choisi tel job parce que c’est votre intuition qui vous l’a dicté et que vous n’avez autre aucune raison particulière. Combien de fois dans votre vie avez-vous dû inventer des « raisons » (« le salaire est meilleur », « la ville est ensoleillée ») pour vous-même ou pour les autres, au lieu d’essayer (pas forcément tout le temps, mais parfois ça fait du bien, croyez-moi) de « faire confiance » ? Combien de fois avez-vous écouté les raisons des autres parce que vous, vous n’aviez qu’une intuition à leur opposer et donc vous avez cédé ? Combien de fois avez vous réprimez en vous-même une intuition au profit de « raisons » pour vous en mordre les doigts après coup ? Ce que je raconte sur l’histoire de notre société peu sembler très abstrait, mais en réalité, ça touche aussi à notre quotidien.
Nous avons mis la raison au pinacle, sauf que c’est une erreur, et que ça crée une société d’êtres aliénés à leur propre corporalité, et à leur spiritualité : les instincts et l’intuition, à la poubelle. Ils sont coupés de la « nature », et du « spirituel », isolés du monde et, progressivement, des autres humains. En gros, ça crée une société de consommateurs. C’est parfait pour le grand capital, mais où est-ce que ça nous mène ? Nous remplissons notre vide intérieur par des gadgets et des addictions. Nous sommes censés être rationnel, mais nous ne survivons qu’à coup d’anxiolytiques, d’antalgiques et autres produits psychotropes, ou bien, nous fuyons dans des réalités virtuelles, et je ne parle pas des multiples addictions qui font des ravages silencieux (porno, réseaux sociaux, drogues, jeux, etc.). Notre société toute entière montre les limites de l’usage exclusif de la raison (attention, je ne dis pas qu’il faut renier la raison, il faut juste la remettre à la bonne place).
Nous avons exagéré le superflu, nous n’avons plus le nécessaire.
Une citation de Pierre-Joseph Proudhon.
Notre société va mal, même si ça ne se voit pas toujours dans les statistiques. C’est, selon moi, parce qu’elle est fondée sur des prémices métaphysiques bancales.
Heureusement, les Lumières 2.0 sont en routes. Ces lumières ne rejettent pas notre partie animale. Partie animale qui comprend aussi la morale (nous ne sommes pas les seuls animaux capables d’altruisme et de justice – même les bactéries punissent les tricheurs et les profiteurs, c’est dire si ça vient de loin), la collaboration, et bien d’autres comportements « nobles », en même temps que la reconnaissance de nos besoins primaires, peurs et limitations. Nous sommes tels que nous sommes, il faut faire avec. Ces lumières redonnent aussi une place à notre besoin d’auto-transcendance, que certains appellent le « divin » ou le « spirituel ». Pour ma part, je parle plutôt d’unité. D’ailleurs, je définirai personnellement l’humain comme un trans-animal (en référence au transhumanisme).
C’est un mouvement centré sur les sciences cognitives, mais qui le dépasse largement, puisqu’il y a aussi des révolutions dans les maths, avec la théorie des catégories par exemple (j’en parlerai plus tard), et qu’il va piocher dans des domaines extérieurs tel que la mécanique quantique qui nous fait nous poser des questions philosophiques très profondes. Mais il n’y a pas encore d’art associé, ni de véritable culture.
C’est à nous de nous en emparer et de les construire. Le chemin va être encore long. Mais c’est un vrai soulagement de disposer de cette perspective.
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