Roland Gori, professeur émérite, nous explique l’avènement d’une société de normes et de procédures dans lesquelles, finalement, on demande aux humains de n’être que des imposteurs, des coquilles vides qui ne font que suivre les règles afin de faire bouger une statistique dans la bonne direction.
Partant de son exposé magistral, que je vous encourage vivement à écouter, je vais reboucler sur les thématiques du blog et me poser la question : « suis moi-même un imposteur ? ».
Il décrit plusieurs cas. Par exemple, les chercheurs ne doivent plus « chercher » pour réussir leur carrière, mais publier et être cités dans les bonnes revues, et pour atteindre ce but, il y a des stratégies (il cite le cas d’un archéologue qui découvre 8 dents et qui fait 8 publications, une par dent, mais il y a bien pire). Au départ, ce qui n’était que de simples outils de mesure de performance provoque une course aux stratégies de triches qui se répandent et noient les vraies recherches. L’imposture se généralise et devient une culture, une normalité.
Une nuance : l’imposture en tant que comportement
Pour ma part, j’ajouterais une nuance cruciale à son discours : je préfère parler de comportement d’imposture plutôt que d’imposteurs en tant que personne. C’est ce qui fait que l’imposture peut s’infiltrer progressivement en n’importe qui, par petites touches. J’irai même un peu plus loin. Prenons un exemple : vous mettez en place un politique de radars routiers pour faire baisser les accidents de la route. Mais dans un cas, vous choisissez les endroits où vous savez statistiquement qu’il y a plus d’accidents, et donc le radar est objectivement là pour prévenir. Mais vous pouvez aussi choisir de mettre les radars, non pas là où ils protègent le plus, mais là où ils rapportent le plus, auquel cas, nous avons affaire à une imposture systémique, puisque ça ne rapporte pas à un individu en particulier, mais à une institution. Selon moi, c’est bel et bien ce qui se produit.
Nous parlons tous de la même chose au fond
C’est ce que j’appelle le digitocène : le règne des algorithmes, la domination de la machine, l’homme qui devient lui-même une machine, un zombi philosophique. Il se contente d’exécuter des ordres, peu importe lesquels. D’autres appellent cela l’ordre marchand ou le capitalisme ou le règne de la quantité. Mais peu importe le nom qu’on lui donne, le résultat, c’est que plus personne n’est aux manettes, même les soi-disant dirigeants, car eux aussi sont soumis à la même culture du chiffre (par exemple Macron et Mélenchon utilisent « Nation Builder » pour leurs campagnes).
Tout ceci s’agrège pour créer un malaise collectif global qui prend la forme de la crise du sens, dont parle John Vervaeke. Nous avons perdu le « sens de la vie » au niveau national ou civilisationnel (bien sûr, il y a d’autres pourvoyeurs de substitution), ce qui se traduit par un grand mal-être généralisé qui est caché sous le tapis à grand coup d’antidépresseurs, anxiolytiques, jeux vidéos, porno et autres addictions (les réseaux sociaux pouvant en faire partie).
Roland Gori parle ouvertement de « folie collective » parce que la norme sociale est devenue une aliénation. J’ai déjà abordé ce sujet. C’est pour cela que j’insiste tant sur la « socio-spiritualité » : les pratiques et conceptions spirituelles ne peuvent pas être détachées de la société, sinon, on se condamne à des « contre-sens spirituel« . Si on se contente de voir la spiritualité comme des pratiques d’éveil individuelles, si on croit que méditer va nous « libérer » (de quoi ?), sans tenir compte de la société autour, alors on se condamne à ne pas comprendre la société dans laquelle on vit, et de subir ses influences : par exemple ce système d’imposture généralisée très subtil. Se comprendre soi-même et comprendre le monde ne peuvent être séparés, car nous sommes en relation avec ce dernier.
Selon moi, la spiritualité elle-même peut être réduite à … des procédures, des normes, et in fine une marchandise dans notre société. Je pense que c’est souvent le cas. Je préfère parler de noétique, qui vise justement le mouvement inverse, à réintégrer la spiritualité dans le quotidien, et avec les autres disciplines, dans le contexte de la société.
Noétique = spiritualité + science + société.
Suis-je un imposteur ? et vous ?
Roland Gori dénonce les imposteurs qui deviennent des « entrepreneurs d’eux-mêmes » : peu importe l’entreprise ou ils travaillent, au fond, ils sont là pour leur carrière. Ils s’adapteraient parfaitement à n’importe quelle autre entreprise, ça ne ferait aucune différence, ou si peu. L’imposture se fond dans le décor.
La réponse est loin d’être évidente, je vous assure. Je ne vais pas rentrer dans toutes les nuances, mais l’esquisse que je propose devrait vous faire réfléchir sur votre propre cas.
Il se trouve que je suis moi-même un « entrepreneur de moi-même » (terme utilisé par Roland Gori pour décrire les « imposteurs » qui s’occupent de leur carrière, peu importe la société ou ils atterrissent) en quelque sorte, puisque j’ai mon entreprise personnelle et que je vends des produits et des formations « spirituelles » sur yoga-H24.
D’abord, je pense que personne n’échappe à cette fabrique des imposteurs, et qu’on l’est tous un peu. Je ne suis pas ici pour vendre du rêve du genre « comment ne plus être un imposteur », « libérez-vous de l’imposture » ou je ne sais quoi. C’est comme ceux qui pensent qu’on peut se libérer des biais cognitifs (ça montre juste qu’ils n’ont pas compris de quoi il s’agit). Pour faire une analogie, on pourrait parler de « biais sociaux« .
Soit. Mais alors, quelle différence ? Serions-nous tous des imposteurs, on ne peut rien y faire, on passe à autre chose ? Non !
La différence ? le longtermisme
La différence, essentiellement, c’est que même si j’ai mon entreprise personnelle, je le fais dans une optique longtermiste et non pas uniquement pour « moi-même ». Je travaille pour que la conscience (en général, humaine ou non) s’épanouisse sur le long terme, ce qui implique une prise en compte des générations futures, de l’écosystème planétaire, de ma personne (puisque c’est à travers elle que je peux agir). C’est en partie pour cela que je ne peux dissocier la spiritualité de la société et la société du cosmos, et que je ne peux dissocier mon esprit de mon corps. Il n’y a que le grand « tout », le « UN » (d’où le titre du blog).
Longtermisme = épanouissement de la conscience sur le long terme (générations futures + écosystèmes)
Contrairement à l’imposteur qui travaille pour lui-même et uniquement pour lui-même dans n’importe quel domaine et qui peut en changer comme de chemise, si j’ai créé « mon » entreprise, c’est parce qu’elle est le reflet de qui je suis et que si j’en changeais je ne serais plus fidèle à moi-même et à la vision que je défends. Je pourrais travailler dans une entreprise à condition que je partage avec elle cette vision longtermiste, mais c’est assez rare de nos jours.
Ceci dit, même si je n’ai pas un patron au sens strict, j’ai quand même des pseudo-patrons (google, meta, amazon et l’état) qui m’imposent, eux aussi, des procédures et règles que je dois suivre. Il y a des règles pour réussir sur le net, dans l’économie de l’attention. C’est pour cela, pour ne pas m’enfermer totalement dans ces règles, que je prends soin d’équilibrer mon activité en ligne avec du « réel », des gens, des forêts, des fêtes.
Au final, c’est à vous de juger si vous estimez que je suis un imposteur ou non et dans quelle mesure.
Un autre yoga – moins procédurier
Ceci dit, je peux vous dire qu’en matière de yoga, je les connais les procédures. Étant diplômé Sivananda, c’est précisément ainsi que l’on m’y a enseigné le yoga. Je n’y avais jamais vraiment songé sous cet angle, et je ne souhaite pas dénigrer cette école qui est quand même de qualité. Mais elle peut produire des coquilles vides, je vous le certifie. J’aurais pu avoir zéro expérience du vide mental ou des siddhis ou de quoi que ce soit de yogique que ça aurait été pareil si j’étais capable de retenir les procédures, les formes, les chants, les textes que l’on m’enseignait.
Ce que je propose sur ce blog et sur mon site commercial ne sort pas d’un moule tout fait. Ça a bien sûr des inconvénients puisque ces « procédures » servent à quelque chose, elles donnent un cadre, elles sécurisent. Mais si vous voulez sortir du bac à sable…
Le webinaire « Respiration tout-en-un » par exemple ne propose pas un simple exercice. C’est une porte vers une nouvelle manière de respirer dans la vie de tous les jours. Il s’agit d’unifier plusieurs pratiques en une et d’unifier la pratique avec votre vie. Dans le livre « Quantalia« , il ne s’agit pas d’une simple enquête sur le paranormal ou la magie, mais d’une nouvelle manière de voir le monde. Dans « Yoga H24 » j’explique comment « unifier » des pratiques spirituelles avec notre quotidien. Tout ce que je propose découle de ce même état d’esprit qui vise à réunifier différents aspects de la vie.
Je compte d’ailleurs faire un article sur cette question : la société nous pousse à devenir hyper-spécialiste d’un domaine et je pense qu’il faut prendre garde à ce que ça induit sur nous.