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Notes sur la décivilisation

Je visionnais une audition du Sénat sur les émeutes et j’ai été intrigué par ce mot de “décivilisation“. Du coup, je prépare un sujet dessus et cet article sert à collecter les informations pertinentes sur le sujet. Le mot a été employé par Macron récemment et ça a fait couler beaucoup d’encre. Le sujet est en rapport avec la domestication, l’infantilisation, mais aussi la “sur-civilisation”, la “sur-domestication”. Ces thématiques sont en rapport étroit avec la crise de sens, la digitalisation ou numérisation de la société et ses effets délétères, et la question de l’agentivité qu’on retrouve au cœur des spiritualités. Je défriche tout ça.

Décivilisation, cité 7X entre 9’50 et 13’45

Citation de l’extrait consacré à la décivilisation dans la vidéo :

Je vais maintenant revenir à un sujet peut-être un peu plus général et qui n’a peut-être pas beaucoup été abordé. Il renvoie à une tribune que j’avais publiée dans Le Monde en novembre 2020 après l’assassinat de Samuel Paty. Cette tribune était consacrée à la question du processus de décivilisation lié notamment à la politique de l'”enfant roi”.

Nous avons un modèle éducatif qui s’est développé à partir des années 1970, probablement pour de bonnes raisons de favoriser la liberté individuelle et l’écoute des besoins des enfants. Mais ce modèle a des effets pervers que nous subissons aujourd’hui, une ou deux générations plus tard.

Parmi ces effets pervers, nous retrouvons une forme de rapport à la loi qui me semble très problématique. Cette politique de “l’enfant roi” aboutit à développer une mentalité de toute puissance, de refus de toute contrainte, de considérer que toute forme de contrainte sur la liberté individuelle est négative et insupportable. Elle mène à une focalisation sur les droits au détriment des devoirs, à une fétichisation de la liberté individuelle au détriment de l’intérêt général. Ce qui me semble être un effet pervers de la libéralisation des mœurs depuis deux générations, libéralisation que nous pouvons approuver, mais dont nous voyons aujourd’hui des effets pervers.

C’est ce que j’ai proposé de nommer, en m’appuyant sur le sociologue Norbert Elias, le “processus de décivilisation“. Norbert Elias entendait par ce terme un processus qui défait progressivement ce qu’il avait longuement étudié, à savoir le processus de civilisation des mœurs. C’est-à-dire la progressive acquisition d’un auto-contrôle et d’une auto-contrainte sur ses propres pulsions, qui fait partie de ce qu’Elias appelait le processus de civilisation du monde occidental.

Or, Elias lui-même a noté que ce processus n’est pas irréversible et qu’il peut se retourner par moments dans des phases de régression où c’est la décivilisation qui l’emporte. Cette décivilisation se manifeste notamment par ce desserrement de l’autocontrôle et cette possibilité de passer à l’acte de façon violente et pulsionnelle. Je pense que ces émeutes en ont donné un exemple évident.

Jérôme Fourquet a repris dans son dernier livre cette notion de processus de décivilisation. Elle a également été reprise par Emmanuel Macron, ce qui a été très contesté par certains sociologues. Mais je pense qu’il y a vraiment là une piste importante. Et à ce propos, je reviens sur la question des réseaux sociaux qui sont évidemment une incitation à cette décivilisation. Notamment parce qu’en favorisant des expressions libres, sans contrainte, et notamment sans la contrainte de l’interaction en face-à-face, ils favorisent des phénomènes de déferlement de haine, d’insultes, de violence. Le sentiment d’une sorte de toute-puissance et de non contrôle de ce qui se dit.

Je pense que pour cette raison purement technique, les réseaux sociaux sont un facteur très fort de décivilisation. Je voudrais aussi insister sur quelque chose qui n’est pas politiquement correct, mais qu’il faut dire selon moi : dans la culture musulmane, il y a un privilège traditionnel accordé aux garçons, qui sont des adolescents rois à qui l’on ne refuse rien, contrairement évidemment aux filles. Cela a été très bien décrit par des ethnologues, notamment Germaine Tillion dans son livre “Le Harem et les cousins”.

Ce sentiment de toute puissance et de non-régulation des pulsions violentes se retrouve beaucoup chez des adolescents issus de l’immigration. Cela n’est pas politiquement correct à dire aujourd’hui, mais je pense que c’est très important à souligner.

Le Sénat a publié un court extrait de 2min :

Compléments

En somme, selon Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS et membre de l’Observatoire des idéologies identitaires, la décivilisation est favorisée par ces 3 facteurs :

  • La culture de l’enfant roi.
  • La culture du privilège du garçon chez les musulmans.
  • La désinhibition sur les réseaux sociaux.

Avec d’autres penseurs du XXe siècle, il montre que « la dé-civilisation des années 1930-1940 consistait à détruire l’individu pour le fondre dans la masse », explique l’historien Hamit Bozarslan dans le Figaro. Dans la civilisation de Norbert Elias, il y a un « autocontrôle exercé, par les individus, sur leur violence spontanée », cite France Culture, qui n’a plus cours dans la société barbare de l’Allemagne nazie.

20 minutes

Citons pêle-mêle quelques facteurs probables de décivilisation :

  • L’affaiblissement du rôle de l’autorité et de la transmission des valeurs par les institutions traditionnelles comme la famille, l’école, les églises, etc.
  • La consommation excessive de produits culturels potentiellement désinhibants ou déshumanisants (certains contenus violents, pornographiques, etc.)
  • Le développement de l’individualisme et la dissolution des solidarités traditionnelles (communautés, voisinage, tissu associatif, etc.)
  • La précarisation d’une partie de la société et la montée des inégalités économiques et sociales
  • L’urbanisation et la vie dans l’anonymat des grands ensembles urbains
  • La perte des repères traditionnels et l’affaiblissement du sentiment d’appartenance à une communauté, une nation
  • L’absence de perspectives d’avenir pour une partie de la jeunesse (chômage, discrimination, etc.)
  • Le développement de nouvelles formes d’incivilités et de transgressions “normalisées” des règles de vie en société
  • La montée de discours politiques extrémistes ou démagogiques remettant en cause l’État de droit

Loi de UN - Johann Oriel