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Abrégé “Technique vs nature” : l’écologie, la question de notre temps

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En cherchant à y voir plus clair sur la question écologique, j’ai découvert une variété d’approches que je ne soupçonnais pas. Dans l’imaginaire public, l’écologie est souvent proche de l’anti-capitalisme, de la décroissance, des restrictions. La technologie est finalement l’ennemi à abattre. En fait, il n’en est rien. Il existe des approches pro-technologie qui sont tout autant fondées et rationnelles que les autres.

J’estime que la question “technique vs nature” est la question principale de notre époque et qu’une démarche spirituelle ne peut pas faire l’impasse dessus. C’est véritable casse-tête. D’un côté, nous détruisons la nature à cause de la technologie, de l’autre, nous venons d’un monde pré-industriel ou un enfant sur deux mourrait avant l’âge adulte. On parlait de “médecine héroïque” parce qu’il y avait autant de chances d’être tué par le médecin que guérit. De plus, la technologie est une course à la puissance. Si nous l’abandonnons, nous prenons le risque de ne pas pouvoir nous défendre contre ceux qui la continuent.

Qu’est-ce que les philosophes qui se sont penchés sur la question en disent ? Je découperai en 3 périodes. Dans l’antiquité, les philosophes sont plutôt méfiants envers la technologie qu’ils opposent à l’ordre naturel divin. La période humaniste est beaucoup moins critique. C’est l’époque où la technologie améliore concrètement les conditions de vies. Puis, après 1945, c’est le retour de la méfiance, voire pire, du rejet de la technologie. Non seulement elle est aliénante, mais en plus, elle est anti-écologique. À la marge, des courants techno-optimistes se développent.

Voici un petit abrégé des auteurs proéminents sur la question :

Les anciens

  • Platon et Aristote : La méfiance à l’égard de la technique va de pair avec la divinisation de la nature. Pour de nombreux philosophes la nature était considérée comme une réalité ordonnée et harmonieuse, reflétant une certaine perfection. Par conséquent, l’intervention humaine à travers la technique était perçue comme une perturbation de cet ordre naturel et une tentative arrogante de rivaliser avec les dieux. La sagesse et la vertu résidaient plutôt dans la contemplation et l’harmonie avec la nature plutôt que dans une quête effrénée de domination et de manipulation technologique.
  • Héraclite, et d’autres ont adopté une vision plus dynamique de la nature, tandis que d’autres, comme
  • Démocrite, et d’autres étaient plus ouverts à l’idée d’utiliser la technique pour améliorer la condition humaine.

Les humanistes

  • Arthur Schopenhauer (1788-1860) “Les arts et les sciences sont eux-mêmes enfants du luxe, et ils lui paient leur dette.” (produisant plus de luxe encore même si ça profite à tous) ils ne peuvent donner naissance à aucun progrès moral
  • John Stuart Mill (1806-1873) La nature s’oppose à la vie humaine, et la technique s’oppose à la nature. Technique signifie soit “savoir faire pratique” soit “technologie”. À partir d’une analyse mettant en valeur la polysémie du concept de « nature », Mill montre que la recherche d’une vie conforme à la nature est soit absurde, soit impossible, soit immorale. En ce sens, il affirme que la nature ne peut pas et ne doit pas servir de modèle normatif à l’existence humaine : cette dernière est, et doit restée, entièrement artificielle et culturelle. Mill croyait que la technologie, lorsqu’elle est utilisée de manière responsable et orientée vers le bien commun, pouvait contribuer à améliorer la vie des individus et de la société dans son ensemble.
  • Henri Bergson (1859-1941). Il n’y a pas vraiment d’opposition nature/technique : la technique est la prolongation de l’intelligence dont la nature à doté l’homme. Mais le progrès technique a eu lieu de façon disproportionnée au progrès spirituel. Au lieu de spiritualiser la matière la technique à mécanisé l’esprit.

Les post-humanistes

  • Martin Heidegger (1889-1976) Le danger de la technique, c’est l’oubli de l’être. Nous arraisonnons la nature, mais la technique nous “commet”, nous “oblige”, nous “arraisonne” en retour. La technologie moderne, en tant qu’enracinée dans une vision calculatrice et instrumentale du monde, aliène l’homme de la nature en réduisant toute chose à une simple ressource utilisable. La technique moderne nous “commet” ou nous “assigne” à agir d’une certaine manière. Cela signifie que la technologie exerce une sorte de pouvoir contraignant sur nous, nous poussant à nous conformer à ses exigences et à ses modes d’utilisation. Nous devenons dépendants des outils, des dispositifs et des systèmes techniques, et nous sommes contraints de nous conformer à leurs logiques et à leurs finalités. Ainsi, la technologie inverse le rapport traditionnel où l’homme était le sujet agissant et la nature était l’objet à disposition.
  • Hans Jonas (1903-1993) la technique moderne nous révèle un rapport utilitaire à la nature sous l’angle du stockage et de l’exploitation de ces ressources. Nous sommes responsables à l’égard de ceux qui sont vulnérables face aux conséquences de nos actes.
  • Jacques Ellul (1912-1994) La Technique ou l’Enjeu du siècle. D’outil permettant à l’homme de se dépasser, la technique est devenue un processus autonome auquel l’homme est assujetti.
  • Jean-François Lyotard (1924-1998) Après Auschwitz d’une part, mais aussi en raison de l’informatisation de la société et du passage à une société postindustrielle, le savoir scientifique perdrait ces légitimations. Le savoir est alors réduit à une simple « marchandise informationnelle », dénuée de toute légitimation.

Mentions spéciales

Deux personnes se distinguent. Kacsynski parce qu’il était tellement radicalement contre la technologie qu’il est passé à l’action, et Morton pour sa pensée inclassable.

Theodor Kaczynski (1942-2023), la technologie favorise une mentalité consumériste et une société industrielle centralisée qui contrôlent et manipulent les individus. Il critique également l’impact de la technologie sur la nature, soulignant les effets néfastes de la pollution et de la destruction de l’environnement. Il prone un retour à une existence plus simple et en harmonie avec la nature, en rejetant la technologie moderne. Il appelle à une révolution contre l’ordre technologique en cherchant à renverser les structures de pouvoir qui la soutiennent.

Timothy Morton (1968-) : Je le cite : L’écriture écologique continue d’insister sur le fait que nous sommes « enchâssés » dans la nature. La nature est un milieu environnant qui soutient notre être. En raison des propriétés de la rhétorique qui évoque l’idée d’un milieu environnant, l’écriture écologique ne peut jamais établir correctement qu’il s’agit de la nature et ainsi fournir une base esthétique convaincante et cohérente pour la nouvelle vision du monde qui est censée changer la société. C’est une petite opération, comme renverser un domino… Mettre sur un piédestal quelque chose qui s’appelle la Nature et l’admirer de loin fait pour l’environnement ce que le patriarcat fait pour la figure de la Femme. C’est un acte paradoxal d’admiration sadique.

Les écologies modernes

Classer les différents types d’écologies n’est pas chose aisée, cependant, dans le cadre de cet article, c’est le rapport à la technique qui nous intéresse. Nous allons donc, grossièrement, opposer ceux qui sont contre et pour la technologie. Nous allons des plus anti-techno au plus pro-techno

Les anti-technologie

  • Collapsologie : Théorie selon laquelle l’effondrement de notre civilisation industrielle est inévitable, à cause de la raréfaction des ressources naturelles et du dérèglement climatique. Préconise une préparation à la résilience. En France, Piero San Giorgio prophétise un effondrement lié à la raréfaction du pétrole. Pablo Servigne appelle à une transformation radicale de notre rapport au monde, à la nature et à la consommation. Il prône une décroissance volontaire pour éviter un effondrement chaotique, ainsi qu’une relocalisation de l’économie. Bien qu’alarmiste, il se veut “collapsologue joyeux” et appelle à profiter de la vie même dans ce contexte.
  • Décroissantisme : Mouvement prônant une diminution volontaire et contrôlée de la production économique et de la consommation, pour sortir de la société de croissance et respecter les limites écologiques de la planète. Selon les acteurs du mouvement de la décroissance, le processus d’industrialisation a trois conséquences négatives : des dysfonctionnements de l’économie (chômage de masse, précarité, etc.), l’aliénation au travail (stress, harcèlement psychologique, multiplication des accidents, etc.) et la pollution, responsable de la détérioration des écosystèmes et de la disparition de milliers d’espèces animales. Citons à titre d’exemple les primitivistes qui veulent retourner à la civilisation pré-industrielle voire néolithique, et les anarcho-primitivistes plus radicaux qui rejettent en plus toute hiérarchisation.
  • Écologie profonde (ou radicale) : Mouvement fondé par Arne Næss dans les années 1970, qui considère que le bien-être de la planète passe par le respect de toutes les formes de vie, et pas seulement de l’espèce humaine. Prône une vision holistique de l’écologie. C’est une philosophie écologiste contemporaine qui se caractérise par la défense de la valeur intrinsèque des êtres vivants et de la nature, c’est-à-dire une valeur indépendante de leur utilité pour les êtres humains. Aldo Leopold (1887-1948) a proposé le développement et la défense d’une « éthique de la terre ». C’est une approche plus “spirituelle”.
  • Écoféminisme : Courant reliant l’exploitation de la nature à l’oppression des femmes, appelant à repenser les rapports de genre pour construire une société écologique sans système d’exploitation patriarcal. « Sans entrer dans une tentative de définition, on constate tout de même des tendances qui se retrouvent dans toutes les variétés d’écoféminisme : critique du patriarcat-capitaliste, de l’exploitation systémique des corps minorisés — et spécifiquement des femmes —, de la mainmise sur la fertilité des sols et des utérus, de la dévalorisation du care et de la dépossession d’un certain pouvoir spirituel des femmes au profit de religions patriarcales »

Les modérés

  • Écologie de restauration : L’écologie de restauration vise à réparer les écosystèmes endommagés par l’action humaine, en restaurant leur biodiversité, leurs fonctions et leur capacité d’auto-organisation, pour le bien-être de la nature et de l’humanité. Elle implique des interventions actives pour accélérer et orienter la régénération des écosystèmes dégradés.
  • Écologie de conservation : cherche à préserver la biodiversité en protégeant les espèces, les écosystèmes et les processus écologiques des perturbations humaines. Elle utilise différents outils comme la création d’aires protégées, la restauration d’habitats, la gestion durable des ressources et la sensibilisation du public.
  • Écologie de réconciliation : Approche prônant l’harmonie entre l’humanité et la nature, en réconciliant nos besoins avec le respect des écosystèmes. Met l’accent sur la spiritualité. L’idée est de favoriser les services écosystémiques. Exemple : l’agroforesterie, les cheminées qui accueillent les cigognes, etc.

Les pro-techno

  • Écomodernisme : Vision selon laquelle le progrès technologique permettra de découpler croissance économique et impacts écologiques, grâce à une exploitation plus “propre” des ressources. Entre autres, les écomodernistes promeuvent l’intensification agricole, les aliments synthétiques et/ou génétiquement modifiés, les poissons issus des fermes d’aquaculture, le dessalement et le recyclage des déchets, l’urbanisation, et le remplacement des combustibles d’énergie moins “denses” par les carburants plus denses (par exemple les centrales nucléaires et les énergies renouvelables avancées), ainsi que les centrales à combustibles fossiles équipées de systèmes de captage et de stockage du carbone. L’utilisation de la technologie pour intensifier l’activité humaine et donner plus de place à la nature sauvage est au cœur des objectifs de l’éthique environnementale ainsi que le développement social et économique des pauvres du monde. En avril 2015, un groupe de 18 écomodernistes autoproclamés a publié collectivement An Ecomodernist Manifesto
  • Technogaïanisme : Pense que la technologie permettra d’atteindre une abondance matérielle illimitée, résolvant les problèmes écologiques. Les technogaianistes soutiennent que la technologie devient plus propre et plus efficace avec le temps. Prône l’utilisation extensive des technologies de pointe. Prône la surveillance environnementale, la géo-ingénierie, le génie génétique, la terraformation.
  • Prométhéanisme : doctrine qui fait l’apologie du progrès technologique, considéré comme le moyen de libérer l’humanité des contraintes naturelles. Il prône la maîtrise totale de la nature par la technique dans une perspective de croissance illimitée. Donne la priorité aux intérêts et aux besoins humains par rapport à ceux des écosystèmes (comme dans l’écologie profonde) ou aux besoins individuels des créatures (comme dans l’éco-féminisme).

Loi de UN - Johann Oriel