L’idée du livre « Le code de la conscience »
Je pense sans exagérer que ce livre, très facile à lire au demeurant, va marquer l’histoire. Il est la première tentative qui s’attaque frontalement au « problème difficile de la conscience » (formule de David Chalmers).
Le point de départ est très simple : si on met deux images différentes en face de chacun de vos deux yeux (une image pour chaque œil) votre conscience n’en verra qu’un seul alternativement. Notre cerveau ne fait pas un mélange des deux, il en occulte une et montre l’autre, puis change éventuellement d’image.
En jouant ainsi avec des situations similaires ou une information est perçue ou non par notre cerveau (par exemple avec des sons à la limite du subliminal, ou des images et d’autres techniques de « brouillage »), Stanislas et son équipe ont réussi à étudier non pas la conscience, mais l’accès à la conscience.
Ce faisant, grâce aux techniques d’imagerie cérébrales actuelle, ils ont pu déterminer la signature de la conscience : ce qui se passe dans le cerveau quand une information accède à la conscience. Une onde cérébrale globale qui relie les différentes aires du cerveau apparaît systématiquement. C’est la base de la Théorie de l’Espace de Travail Global développée par le chercheur.
Selon lui, la conscience serait apparue au cours de l’évolution chez les animaux avec un cerveau pour coordonner les différentes informations dont l’animal dispose afin qu’il puisse prendre des décisions.
Les niveaux de l’inconscient
Chose intéressante, il découpe l’inconscient en 5 niveaux :
- Le pré-conscient : ce sont les informations qui sont à portée de conscience, mais que nous ne lui prêtons pas attention
- Le subliminal : l’information est quelque part dans le cerveau, mais à l’inverse du pré-conscient, nous ne pouvons pas le rendre conscient
- Le déconnecté : le processus de la respiration par exemple dont toute l’activité neuronale nous échappe, et dont nous ne pouvons prendre conscience qu’indirectement via le mouvement des muscles de la cage thoracique
- Le dilué : par exemple, si on fait clignoter des rayures noires et blanches à plus de 50X par secondes, nous cessons de les voir, et nous voyons du gris, mais notre inconscient continue de voir les rayures
- Le latent : ce sont les informations stockées dans notre mémoire que nous pouvons invoquer pour construire notre imagerie cérébrale
C’est difficile de rendre justice à un tel livre qui, bien que facile à lire, donne de nombreux détails sur des expériences et des connaissances ultra-fines sur le cerveau. Je ne peux synthétiser cet aspect du livre, car il émerge de l’accumulation d’anecdotes au fil de la lecture, mais c’est le plus intéressant à mon sens : voir et comprendre comment notre cerveau fonctionne. C’est précisément « ça » le « code de la conscience ».
Une critique
Stanislas affirme que le « difficile problème de la conscience » sera petit à petit grignoté par la science.
Mon sentiment est que Chalmers s’est trompé dans ses étiquettes : ce sont les problèmes supposés faciles qui présentent un vrai défi scientifique, tandis que le problème difficile ne nous paraît ardu que parce qu’il fait appel à des intuitions imprécises. Une fois revisité à l’aune des neurosciences cognitives et de l’informatique, le problème difficile de Chalmers s’évaporera sans laisser de traces. Ce ne sera pas la première fois que la science remettra en cause nos intuitions les plus sûres (pensez au lever de soleil, qui est en fait une rotation de la Terre dans le sens opposé). Dans quelques décennies, la notion même de qualia, ces quanta d’expérience pure, dépourvus de tout rôle dans le traitement de l’information, sera considérée comme une idée étrange de l’ère préscientifique. Ce débat aura la même issue que celui du vitalisme – l’idée erronée du XIXe siècle selon laquelle, quelle que soit la quantité de détails accumulés sur la biochimie des organismes, nous ne rendrons jamais compte de ce qu’est le vivant.
Pour ma part, je suis perplexe face à cette affirmation. Je reconnais que de regarder sous le capot de notre machinerie cérébrale et de « voir » comment notre cerveau fonctionne (littéralement) est assez perturbant et que les arguments de Dehaene sont convaincants. Mais même si nous parvenions à expliquer et à reproduire comment notre cerveau « fabrique » une « qualia » il n’en reste pas moins qu’à aucun moment ça n’explique comment de la matière « totalement inconsciente » puisse « fabriquer » de la conscience. En ce qui me concerne, je ne vois pas pourquoi un train d’onde cérébrale, qui n’est à la fin qu’une oscillation d’atomes et d’électrons, peut faire émerger une « conscience ». Stanislas laisse simplement cette question de côté en supputant qu’on ne se posera bientôt plus la question. Peut-être qu’il a raison, nous verrons bien.
Dans tous les cas, ce petit livre pourrait se révéler être l’aube d’une révolution intellectuelle similaire à celle de l’héliocentrisme. En abordant le problème sous l’angle de l’accès à la conscience, Dehaene a fait une percée majeure. Cela me semble indéniable.
Le livre est disponible sur amazon.