À l’école, j’ai absolument détesté l’enseignement de la philosophie. Et pourtant je ne saurai que trop recommander la lecture de ce livre.
Pourquoi s’intéresser à la philosophie dans le cadre d’une démarche spirituelle ? La réponse est double : d’une part pour apprendre à penser avec rigueur et parce que les philosophes proposent une forme de sagesse, d’autre part parce que la spiritualité est basée sur des prémices philosophiques qui sont souvent implicites et qu’il serait bon d’interroger un minimum.
Ce deuxième point me semble très important, même pour ceux qui s’intéressent seulement à la pratique spirituelle, car une fois que vous allez vivre des expériences spirituelles, il va bien falloir ensuite les « comprendre ».
C’est là où le livre de Jostein Gaarder fait son entrée en scène. Il est écrit comme un roman, mais de manière tout à fait habile, car la trame de l’histoire sert à faire des mises en abimes très habiles relatives aux sujets développés dans le chapitre.
Le contenu en lui-même est une introduction à la philosophie, adressée aux adolescents, donc, très accessible à tout le monde. C’est vraiment l’énorme point fort de ce livre : on peut facilement comprendre de quoi parle la philosophie. Pas de vocabulaire abscons, pas d’eidétique, d’ontologie, de phénoménologie transcendantale ou que sais-je encore. Attention, je ne dénigre absolument pas le travail des philosophes. C’est leur boulot d’inventer des mots qui nous aident à penser. Mais de nos jours, la philosophie est souvent compliquée à aborder justement à cause de ce vocabulaire.
L’auteur ne fait pas cette erreur beaucoup trop répandue, il part de la vie telle qu’on la vit et non pas telle que les philosophes la conceptualisent, ce qui permet de comprendre les idées des grands philosophes qui ont marqué l’histoire et l’histoire de ces idées.
Il commence avec la Grèce antique, les questions qu’ils se posaient à cette époque-là. Oui, parce que c’est une évidence pour nous, mais pourquoi est-ce qu’un objet tombe au sol au juste ? Est-ce que le monde que je perçois est réel puisque je peux percevoir le même en rêve ? Est-ce que l’univers est infini ?
Les philosophes ont continuellement apporté des réponses à ces questions et ce qui est fascinant, c’est qu’au fond les modernes continuent de se poser les mêmes questions que Platon et Aristote. Les réponses sont plus sophistiquées, mais les questions, pas tellement. Il y a comme une sorte de partie de pingpong cosmique qui se joue au fil des ages entre ces penseurs.
Le livre va jusqu’à l’époque contemporaine et s’arrête à Sartre. Il donne de bonnes bases sur les grands courants de la philosophie et montre à quel point elles ont façonné les manières de penser des gens de leur époque, sans qu’ils ne le soupçonnent le plus souvent.
C’est un point très important : la plupart d’entre nous ne pensons pas, nous sommes pensés, d’autres pensent pour nous. C’est dur à avaler pour nos egos, mais c’est ainsi.
Le livre se termine par une critique du newage (paranormal, ovni, médiumnité, voyance, etc…). Je ne m’y attendais pas, mais finalement l’auteur semble avoir écrit ce livre, assez génial par ailleurs pour préserver les adolescents des dérives du newage.
Maintenant, quelques « critiques ». Entre guillemet, parce que c’est de la gourmandise de ma part.
J’aurais aimé un rapide topo sur les philosophes marquant de l’époque contemporaine. Je trouve dommage que Nietzsche, Heidegger, Derrida, Husserl et peut-être quelques autres n’aient pas été abordés, car après tout, ils permettraient de mieux comprendre comment notre époque pense.
La partie « mystique » est traitée un peu vite à mon goût. Au départ, philosophes et mystiques ont la même quête, les mêmes questions. Mais là où les philosophes vont tenter de réfléchir à ces questions, les mystiques, eux, vont tenter de faire l’inverse, ils vont essayer de ne pas y réfléchir, mais de « percevoir » les réponses. Et pour cela, il faut justement apprendre à faire taire l’organe qui pense, la petite voie intérieure. C’est le but de la méditation et de la démarche ascétique.
Nous pourrions être portés à croire qu’une méthode est supérieure à l’autre. Si, par exemple, le mystique « voit » la vérité directement parce qu’il fait l’expérience, n’est-il pas « supérieur » au philosophe qui lui se contente de raisonner ? Rien n’est moins sûr, car pour penser, les philosophes doivent, eux aussi, creuser profondément en eux. Je verrai donc plutôt ces deux approches comme complémentaires, pouvant s’enrichir mutuellement.
Quant à la critique du newage, l’auteur a tout à fait raison d’un certain point de vue, mais je crois qu’il loupe l’essentiel : bien qu’il y ait pas mal de délires et d’exagérations, il y a quand même un vécu mystique « anormal » que les gens du newage cherchent à comprendre. Malheureusement, la philosophie risque de ne pas toujours suffire à l’expliquer. C’est un vaste sujet, nous y reviendrons.