Attention, c’est un article assez technique et spéculatif. Il demande une certaine maîtrise des notions de physique (mécanique quantique et relativité) que je ne vais pas expliquer ici. Je me fais plaisir là.
Nos instruments de mesures les plus poussés sur le monde extérieur (interféromètres, accélérateurs de particules, télescopes) réels butent sur des limites qui ressemblent à s’y méprendre à celles que nous pouvons observer à propos de notre conscience elle-même : principe d’incertitude, effondrement de l’état de superposition, relativité temporelle.
La piste a été soulevée par Stanislas Dehaene dans son livre « Le code de la conscience ».
Quand nous présentons deux images différentes à nos yeux, il se produit le phénomène de « rivalité binoculaire ». Nous n’allons pas voir un mélange des deux images, mais l’une après l’autre, alternativement.
Si vous avez des lunettes 3D bleu-rouge, essayez par vous-même :
Vous verrez alternativement l’un où autre des mots, mais jamais les 2 en même temps. On peut faire la même expérience en mettant 2 photos différentes devant chaque œil.
Dehaene note une analogie avec le phénomène d’effondrement de l’état de superposition quantique, car les études sur le cerveau démontrent que le cerveau perçoit inconsciemment les deux informations (c’est l’état « superposé »), mais il ne perçoit consciemment qu’un seul état.
De même, notre cerveau à une vitesse de traitement de l’information. Entre le moment où l’on voit quelque chose et le moment où s’est réellement produit, il se passe environ 0.3s. En fait, selon les cas, le temps de traitement peut-être plus ou moins long. On se retrouve alors avec des distorsions temporelles dans la conscience qui ne sont pas sans rappeler les déformations de l’espace temps de la relativité générale.
Michael Levin propose d’interpréter le moi comme un « cône de lumière cognitif » : en partant de l’instant présent, le moi serait l’ensemble des possibilités d’actions envisageables par la personne, et dans le passé, l’ensemble de ses mémoires cumulées.
How do Living Systems Create Meaning?The “self” is usefully thought of in terms of a “cognitive light cone” indicating the horizon of the goal states the agent is capable of pursuing. The spatial extent demarcates the distance across which it is able to take measurements and exert effects, and the forward and backward temporal extents indicate the system’s abilities to anticipate the future and recall the past, respectively
Enfin, notons aussi, les philosophes sont familiers de ce « problème » que si nous essayons de définir quelque chose, par exemple : qu’est-ce qu’une chaise ? la question semble on ne peut plus simple, mais peu importe comment on va l’aborder, on a se confronter à des problèmes infinis.
Version 1 : Une chaise est un objet. Ok. Mais qu’est-ce qu’un objet au juste ? et qu’est-ce que « être » quelque chose ? Essayez de définir un objet pour voir… c’est un « truc » qu’on peut manipuler. Une rivière a priori n’est pas vraiment un « objet », mais pourtant, avec un barrage, on peut la manipuler. Qu’est-ce qu’une manipulation au fond ? Faites l’exercice, et vous allez vite vous rendre compte que c’est très difficile.
Version 2 : une chaise, qu’est-ce que c’est ? ça peut être en bois, en plastique, en pierre, ou composite, donc il n’y a pas de matière commune à toutes les chaises. Une chaise peut avoir comme fonction de s’asseoir, mais on peut aussi monter dessus, on peut la faire bruler ou la jeter, ou se défendre avec. Elle n’a pas de fonction précise non plus. Elle peut avoir 4 pattes, 3 pattes, ou même plus, ou même une seule patte. Elle peut avoir un dossier ou non, elle peut être ronde ou carrée. Bref, elle n’a pas de forme précise. Mais alors c’est quoi une « chaise » ? est-ce qu’il y a une « essence des chaises » ? si oui, comment la caractériser ?
Ce genre de problèmes intellectuels animent les débats philosophiques depuis 2500 ans environ. Je ne vais pas trancher la question ici. Mais ce qu’on constate est analogue au principe d’incertitude d’Heisenberg : plus ou observe précisément un objet dans notre conscience, plus il devient insaisissable, volatile, imprécis.
- Superposition et effondrement,
- Relativité du temps
- Cône de lumière
- Principe d’incertitude
Je trouve qu’il est étonnant, et même intriguant, de constater que nos connaissances sur le « réel », « l’objectif » puissent converger ainsi avec les observations faites sur notre monde « subjectif », « phénoménologique ».
Je suis prêt à parier qu’on trouvera aussi des effets de dilatation spatiale, d’émergence et d’émanence dans notre conscience, par analogies avec des choses observées ou théorisées en physique. J’y reviendrai si je tombe sur des exemples ou des études à l’avenir.
Comprendre la nature de la conscience est une question fondamentale dont va dépendre, je le crois, l’avenir de l’humanité à l’heure ou elle se confronte à son adolescence technologique.
Bonus : analogies entre les ordinateurs quantiques et le cerveau.
Vous avez une analyse différente ? Dite le, en commentaire.
Cette analogie que vous notez avec pertinence entre d’une part le champ de la connaissance humaine la plus pointue, et d’autre part, les sentiments subjectifs perçus en notre for intérieur, peut prendre tout son sens et paraître évidente et logique si l’on analyse le monde avec certains postulats, que l’on peut résumer en une phrase :
« Et si notre connaissance sur le réel n’était PAS une connaissance du monde objectif, mais bien uniquement une connaissance des phénomènes PERCUS par notre conscience; dans la sphère intérieure de notre intelligibilité ? »
Après tout, il faut bien acter certains constats fondamentaux qui laissent à penser que cette manière d’interpréter la connaissance a toutes les chances d’être vraie :
1) Les mathématiques et la logique ne sont rien d’autres qu’un langage inventé par l’homme; comme n’importe quelle langue. Les animaux ne s’expriment pas en utilisant les mathématiques et on ne trouve pas naturellement des équations logiques inscrites sur les roches sans qu’elles aient été écrites de la main de l’homme. Dès lors, pourquoi penser que les mathématiques et la logique serait « un langage de la nature » alors qu’il est clair qu’il s’agit d’un langage humain ? D’ailleurs, les mathématiciens inventent chaque jour de nouvelles notions, tout comme les langues humaines évoluent en permanence…
2) La science en général et la physique en particulier nous démontrent que nos sens nous bercent d’illusion constamment : nous ne voyons pas la réalité telle qu’elle est (par exemples, nous voyons des mirages en plein désert; et notre vue ne filtre qu’une toute partie du spectre électromagnétique) et inversement nous voyons des choses dont nous savons qu’elles n’existent pas (par exemple, les couleurs n’existent pas en elles-mêmes, il s’agit d’une interprétation du réel orchestré par notre cerveau. D’ailleurs les daltoniens et les animaux ne perçoivent pas les couleurs de la même manière qu’un humain ordinaire).
3) La méthode scientifique part de postulats fondamentaux, notamment : le tout peut être subdivisé en parties qui peuvent être étudiées indépendamment; les objets possèdent des propriétés réelles; ces objets existent indépendamment d’un observateur humain; le monde est régit par la causalité (une cause possède toujours un effet); le monde est régit par une règle de localité (les forces fondamentales agissent seulement dans une certaine distance autour de leur centre d’action). Pourtant, les théories scientifiques les plus sophistiquées et les plus contemporaines (notamment la physique quantique) démontrent que ces postulats de départ sont justement tous faux ! Les objets ne possèdent en fait pas de propriétés intrinsèques, leurs manières de se comporter dépendent fondamentalement du fait qu’on les observe ou qu’on ne les observe pas; le monde est non-local; le monde est non-causal. Ce faisant, l’intégralité du corpus scientifique semble nous indiquer que les postulats de départ, qui consistaient en une vision du monde réaliste (c’est-à-dire qui croyait que le monde réel existe bel et bien indépendamment de l’homme et que nous accédons à ce réel à l’aide de nos sens et de notre entendement), sont tout simplement faux et qu’il nous faut adopter une posture profondément plus relativiste : ce qu’on observe, même en science, dépend de la manière de l’observer. Ce qu’on observe n’existe que PARCE QU’on l’appréhende.
Dès lors : et si ce que décrivaient en fait toute la science n’était rien d’autre que la manière subjective dont les phénomènes se déroulent dans nos consciences ?
Si l’on accepte ceci comme un fait, alors PAR DÉFINITION, les analogies que vous notez se produiront évidemment puisque les 2 aspects (connaissance « objective » et scientifique du réel d’une part, et compréhension subjective de ce qui se manifeste dans ma conscience d’autre part) sont en fait UNE SEULE ET UNIQUE CHOSE ! Dans ce cadre de pensée, ce ne serait même pas les 2 facettes d’une même pièce, mais tout simplement un seul et même objet : la réalité subjective perçu à l’aide de ma conscience et de mon entendement, qui, même lorsqu’il formalise les choses de la manière la plus technique qu’il le peut, ne peut rien faire d’autre que décrire humainement ce qui se passe humainement et subjectivement à l’intérieur de nos cerveaux quand des signaux extérieurs viennent activer nos neurones.
Puisque votre démarche globale s’inscrit dans une quête de SENS (si j’en crois votre manifeste), alors il faut bien admettre que pour donner du SENS à ces constats et aux analogies que vous notez, cette manière de voir le monde est sans doute la plus cohérente…