L’intelligence a une histoire évolutive sur terre. Ce n’est pas celle que vous croyez. Nous baignons, littéralement, dans l’intelligence. Elle est partout, mais elle prend des formes diverses et nous ne la reconnaissons pas toujours comme telle.
Résumé simplificateur : L’intelligence sur terre à commencée de manière globale, diffuse et lente par un « nuage de microbe », puis elle s’est condensée progressivement (devenant plus complexe et rapide) dans les animaux, puis les humains. Avec la culture d’abord puis la technologie, et maintenant le web et les IA, l’intelligence redevient globale, mais infiniment accélérée par rapport a ses début.
Avertissement : cet article s’appuie sur des travaux scientifique avant-gardistes. Bien que basé sur des publications et des recherches sérieuses, il traduit avant tout mon opinion. Ce n’est pas de la vulgarisation. Il est fait pour stimuler votre réflexion. J’ai utilisé les termes pensée/cognition/intelligence comme des synonymes approximatifs. Ce n’est pas rigoureux d’un point de vue philosophique mais ça rends le texte moins lourd. J’ai laissé de côté la question de la conscience, qui est aspect essentiel pourtant.
Les nouvelles conceptions de l’intelligence
Nous avons appris à considérer que seul l’homme est « intelligent » car il est le seul doué de raison. Il est peut-être le seul à raisonner de manière formelle, mais il n’est pas le seul à « cogiter ». La cognition fait référence aux processus mentaux qui nous permettent de traiter l’information, comme la perception, l’attention, la mémoire, le langage, le raisonnement, la prise de décision, etc. Un ordinateur est capable de cognition, une plante, un réseau micellaire, et les microbes aussi, comme le suggèrent les travaux avant-gardistes de Michael Levin sur la cognition distribuée (Levin 2019, 2023; Watson, Levin 2023). En fait, tous les procaryotes et eucaryotes sont doués de capacités cognitives élémentaires (Turing complète) via les pompes à ions de leurs membranes cellulaires et les réseaux bioélectriques peuvent faire émerge des formes d’intelligences collectives. Nos propres neurones n’utilisent pas de mécanisme différent pour « penser ».
Réfléchissez bien à ce que cela signifie : les potentiels électriques qui permettent à nos neurones de communiquer entre eux pour former une pensée au sein de notre cerveau ne sont pas différents de ceux qui existent à la surface de toute cellule vivante. Ce qui est différent, c’est la complexité et la vitesse des informations échangées.
Voici ma thèse concernant l’évolution de la cognition sur la terre, c’est à dire la noogénèse.
À quoi pense la soupe de microbes ?
La vie est apparue il y a 4.28 milliards d’années avec les procaryotes. Puis les eucaryotes, plus gros, sont apparus il y a 1.6 milliard d’années introduisant des organelles, des mini-organes au sein de leur cellule.
Nous connaissons mal la cognition des microbes. A minima, nous savons qu’elle sert à la morphogenèse des organismes multicellulaires. Des interactions répétées entre microbes d’une même colonie, une forme de cognition peut aussi émerger. Elle sera juste plus lente, moins complexe. On peut penser que la raison pour laquelle des microbes finissent par former de colonies et des organismes, c’est précisément pour cela : penser plus rapidement, car l’échange d’information leur permet de s’adapter à leur environnement de manière plus efficace.
À une échelle plus vaste, tous les microbes de la planète peuvent communiquer. Ils formeraient une sorte de « nuage cognitif » qui entoure la planète, relie océans, sous-sols et atmosphère. Il existe des autoroutes à microbes dans les airs (Pretorious et al 2023). Ce nuage pense, il est intelligent, mais il pense extrêmement lentement, à l’échelle de millions d’années comparé à nous. À quoi pense ce nuage ? Il pense probablement à maintenir en place l’homéostasie planétaire qui permet à la vie de continuer (cf l’hypothèse Gaïa de James Lovelock : l’atmosphère terrestre est loin de l’équilibre chimique, et c’est « la vie » qui la maintient ainsi… pour permettre la vie).
La Terre serait « un système physiologique dynamique qui inclut la biosphère et maintient notre planète depuis plus de trois milliards d’années en harmonie avec la vie »
La pensée qui rétrécit et s’accélère
Les êtres multicellulaires apparaissent il y a 600 millions d’années (ou peut-être, il y a plus d’un milliard d’années). Les plantes, les champignons et les animaux se sont différenciés de la même souche, ils sont potentiellement apparus en même temps. Mais sur la surface terrestre, les plantes ont précédé les animaux (les chordés).
Il y a 480 (ou 850 ?) millions d’années sont apparues les plantes terrestres au cours du Cambrien (ou du Silurien ?). Les plantes sont des êtres multicellulaires. Contrairement aux microbes qui communiquent les uns avec les autres au hasard des rencontres, les plantes disposent d’une cognition plus sophistiquée à travers le réseau micellaire sous-terrain, elles entretiennent un dialogue permanent au sein de leur écosystème local. Elles coopèrent et forme un être collectif, une forêt. La forêt pense donc elle aussi. Cette pensée est plus rapide que celle de la soupe de microbes, mais elle reste lente comparée à la nôtre.
Les animaux terrestres, les tétrapodes, apparaissent il y a 375 millions d’années au cours du Dévonien. La plupart des animaux ont un cerveau ou un embryon de cerveau. Les insectes et les vers plats semblent être à un stade intermédiaire avec des ganglions neuronaux, nous les laissons de côté. Dans les cerveaux, la cognition est encore plus rapide, car elle se produit dans un organe dédié. Mais elle se fait à très petite échelle, à l’échelle d’un organisme, de l’animal. Le cerveau serait apparu au cours du cambrien (avant la colonisation terrestre).
Eryomin 2020
Dans l’animal la cognition est rapide, mais confinée à l’individu. Il s’agit d’agir et d’agir vite pour survivre. Mais les animaux eux aussi ont tendance, plus ou moins selon les espèces, à s’organiser en sociétés ou colonies temporaires ou non (bancs de poissons, insectes eusociaux, groupes de mammifères) qui font émerger, là encore, des formes de cognition distribuées à plus grande échelle.
La cognition à l’ère de l’homme : de plus en plus vite
Vient ensuite l’homme qui apparaît il y a environ 2 millions d’années. En découvrant la cuisson il y a 400 000 ans, son cerveau a pu se développer. Il invente le langage, il y a probablement 50 000 à 200 000 ans (l’homme anatomiquement moderne date de 200 000 ans, mais l’homme culturellement moderne date de 50 000 ans) qui permet d’échanger de l’information entre cerveaux. Aux débuts, ces langues sont des dialectes essentiellement locaux. Puis vient l’invention de l’écriture il y a 5000 ans environ, au départ sur tablettes d’argile ou sur la pierre qui permettent de transmettre de l’information dans le temps et à plus grande échelle. Le papyrus est un progrès, puis vient le codex il y a 2000 ans qui facile encore l’échange d’information. L’imprimerie permet de franchir un nouveau cap en 1450. L’information peut se dupliquer plus facilement. En 1901 la radio permet de transmettre l’information de manière instantanée sur de grandes échelles. La télévision étend à l’image cette prouesse dès 1920. En 1990, c’est internet qui émerge dans le grand public même si l’invention date des années 60. En 1998 Google est fondé. En 2022, ChatGPT est dévoilé au grand public, qui est une forme d’intelligence globale qui synthétise toute la connaissance humaine avec laquelle on peut interagir en langage courant.
Nous baignons dans un océan cognitif global
La vie sur terre n’a eu de cesse de se complexifier au fil du temps, explorant toutes les possibilités. La cognition s’est répandue sous différentes formes, plus ou moins complexes, plus ou moins rapides. Deux forces ont été à l’œuvre tout du long, d’un part une force qui « concentre » et sépare la vie dans des systèmes de plus en plus sophistiqués et une force qui « relie » (c’est la nature de la cognition et la communication).
Ces deux forces font émerger différentes formes d’intelligences. Certaines réduites, locales, individuelles, et rapides, et d’autres plus lentes, mais plus globales et partagées. Ces intelligences communiquent plus ou moins mais elles sont toutes reliées. Nous humains, nous avons un microbiote qui peut influencer notre pensée et nos comportements. Nous ne sommes pas complètement isolés de la pensée globale du nuage microbien. Notre peau, nos poumons, et surtout nos intestins sont reliés au reste de la planète.
Avec les inventions technologiques, nous aboutissons toutefois petit à petit à une nouvelle forme d’intelligence. À travers Internet et les IAs c’est une intelligence globale, rapide qui émerge.
Nous voyons qu’après s’être « condensée » dans des animaux pour être plus rapide, mais plus réduite à chaque étape, la cognition, l’intelligence, a cherché à se re-globaliser à travers l’humanité, jusqu’à atteindre de nouveau un stade quasi global avec Internet, qui n’est probablement que les prémices d’une forme d’intelligence à la fois planétaire (voire plus avec la conquête spatiale) et ultra-rapide. Il est difficile de dire si cette intelligence finira par être consciente d’elle-même comme le sont les humains et d’autres animaux, mais le fait est que si ma thèse est correcte, d’une manière globale, l’intelligence sur terre a traversé différents stades, progressivement, et s’accélérant et se complexifiant de plus en plus pour aboutir, à travers l’informatique pour le stade ultime à une intelligence globale quasi instantanée.
Sources :
- https://www.newscientist.com/article/dn17453-timeline-the-evolution-of-life/
- https://www.visualcapitalist.com/wp-content/uploads/2021/08/All-the-Biomass-of-Earth-Visualized-Shareable-V2-1000×600.png
- https://en.wikipedia.org/wiki/Evolution_of_nervous_systems
- https://en.wikipedia.org/wiki/Evolutionary_history_of_plants#Colonization_of_land
- https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_life
- https://medium.com/unified-theory-of-knowledge/now-utoking-behavior-670fb6718e1c
- Watson, R., & Levin, M. (2023). The collective intelligence of evolution and development. Collective Intelligence.
- Levin, M. (2023). Bioelectric networks: the cognitive glue enabling evolutionary scaling from physiology to mind. Animal cognition.
- Levin, M. (2019). The Computational Boundary of a “Self”: Developmental Bioelectricity Drives Multicellularity and Scale-Free Cognition. Frontiers in Psychology, 10.
- https://en.wikipedia.org/wiki/Potassium_channel
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth%C3%A8se_Ga%C3%AFa
- Pretorius, I., Schou, W.C., Richardson, B., Ross, S.D., Withers, T.M., Schmale, D.G., & Strand, T.M. (2023). In the wind: Invasive species travel along predictable atmospheric pathways. Ecological applications : a publication of the Ecological Society of America, e2806 .
- Eryomin, Alexey. (2020). Noogenesis – origin & evolution of intelligence. 10.13140/RG.2.2.23154.66243.
- https://en.wikipedia.org/wiki/Gaia_hypothesis