Il me semble qu’un des meilleurs exemples simple de folie collective qu’on puisse trouver, c’est le « bullshido », bullshit + do : la voie du bullshit. Cela montre comment des groupes de gens peuvent s’auto-illusionner. C’est parfaitement illustratif de ce qui peut se passer à l’échelle d’une société quand la spiritualité se déconnecte du réel, dans ce que nous pourrions nommer un syndrome de la tour d’ivoire (j’y reviens).
Avant tout, j’insiste sur un point capital : selon moi, ces soi-disant maîtres sont tout autant des victimes que leurs disciples. Ce ne sont pas des escrocs qui ont pré-médité une arnaque. Il s’agit bel et bien d’une dynamique collective maladive. Pourquoi ? parce que, comme vous le voyez dans la vidéo (il y en a plein d’autres), les maîtres croient eux même en leur soi-disant pouvoir. La preuve : s’ils n’y croyaient pas, pourquoi irait-il affronter des vrais combattants, se faire démonter, et surtout humilier devant leurs élèves ? Les maîtres sont autant victimes de leurs élèves que l’inverse.
Dans notre monde binaire actuel fait de salaud et de gentils, de bien et de mal, cette simple idée de dérive collective sans coupable est plus disruptive qu’il n’y paraît.
Doit-on en déduire que le « chi » c’est bidon ? Non.
J’ai pratiqué les arts-martiaux. J’ai été confronté personnellement à ce genre de situation ou le maître « joue » avec ses disciples sans les toucher.
Comment en arrive-t-on là ? Et quelle leçon de sagesse en tirer concernant la société ?
Les art-martiaux sont des pratiques faites pour les champs de bataille à la base. On y apprenait à tuer. Contrairement aux sports de combats qui sont prévus pour la compétition avec des règles pour éviter les blessures, les arts martiaux doivent être pratiqués de manière très prudente, car on s’entraine parfois à briser des articulations, entre autres techniques dangereuses.
En soi ce n’est pas problématique, mais de nos jours plusieurs d’écoles (pas toutes) ne font plus que ce genre d’exercices. Il n’y a pas de combat libre ni de confrontation – randori / sparring (parce que, je le redis, les techniques martiales, même à main nue, sont trop dangereuses). Petit à petit se sont devenus des chorégraphies sophistiquées. Elles permettent d’apprendre une discipline, et de travailler une forme de corps, et les techniques enseignées sont bel et bien réelles et peuvent être très efficaces sur le terrain dans l’absolu. C’est typiquement un travail spirituel ancré dans le corps. Ce n’est pas mauvais en soi, bien au contraire, si c’est intégré dans une écologie de pratique plus vaste. Mais à l’inverse de la danse qui s’assume comme étant purement esthétique, l’illusion peut s’installer chez ces artistes martiaux.
Sans confrontation, vous êtes en roue libre, vous êtes dans votre tour d’ivoire. Quand vous travaillez avec votre partenaire à, disons, briser son coude, celui-ci est obligé de coopérer. Si vous vous êtes positionné correctement, il n’a pas le choix. La première fois, il résiste, mais la douleur lui rappelle bien vite que c’est inutile. La fois suivante, il accompagne le mouvement. La fois d’après, il l’anticipe. Notre cerveau procède ainsi de manière générale : il ne perçoit pas le monde, il l’anticipe et il corrige. Ce n’est donc pas un mécanisme spécifique aux art-martiaux.
Vous l’avez deviné, du moment que votre partenaire anticipe sa réponse à votre technique, il bouge avant même que vous ne le touchiez. Et voilà le secret du bullshido ! Vous prenez cette mécanique d’anticipation, vous l’appelez « pouvoir du chi » et vous vous retrouvez avec des maîtres et des disciples persuadés de pouvoir arrêter n’importe qui sans les toucher.
Évidement, si vous essayez sur vos amis non initiés, ça ne fonctionnera pas. Vous vous direz juste que vous n’êtes pas encore au niveau du maître, ou alors que vous n’étiez pas en forme ce jour-là, ou je ne sais quoi. Notre cerveau est un spécialiste pour nous inventer des explications qui protègent nos illusions.
C’est un syndrome de la tour d’ivoire. C’est un piège spirituel. Il est bien plus commun que nous ne le pensons en réalité et je dirai qu’il a même tendance à se répandre un peu partout dans la société sous diverses formes. Les art-martiaux ne sont qu’un moyen de rendre ce syndrome visuel et explicite. La paille et la poutre.
De nos jours, beaucoup d’entre nous ont une vie facile. Très facile. Trop facile. Nous vivons dans des tours d’ivoire. Nous avons tendance à croire qu’on peut résoudre les problèmes avec la magie de bons sentiments. Mais la plupart des problèmes de la vie réelle sont compliqués à résoudre et demandent à trancher des dilemmes moraux.
Grâce au progrès technique jusqu’en 2019, nous avons eu plusieurs générations qui n’ont pas connu ni la guerre, ni la famine, ni les pandémies, ni même des emplois pénibles ou dangereux. Nous avons l’eau courante, internet, et les super-marchés. Mais on ne les a pas créés avec seulement des belles idées. Au départ, il a fallu se retrousser les manches.
Il est tentant de nous croire meilleurs, plus évolués, et que TOUS les problèmes se règlent sans contact, par la parole ou les gestes incantatoires, à coup de chi, sans se salir les mains, et que la violence, c’est pour les salauds et les brutes qui sont encore au stade animal (comme si les autres animaux étaient incapables de coopération, d’altruisme ou de communication). Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de dire que tous les problèmes se règlent par la force. Mais à l’inverse, certains sont tentés de penser, depuis leur tour d’ivoire, qu’il suffirait d’interdire les coups pour que la magie du chi règle tous les conflits, dilemmes et problèmes sans heurts.
Pour autant, tout ça ne veut pas dire que le « chi » n’existe pas et qu’il n’a pas d’effet. Mais ça, c’est un autre sujet qu’il serait trop long d’aborder ici. J’enseigne le « MMA Méditatif » : on y mélange la confrontation du MMA et la méditation du yoga ainsi que le travail du chi des arts martiaux internes. Il s’agit de rester en état de méditation pendant le combat. Les deux aspects s’enrichissent l’un l’autre au final, plutôt que de les séparer en sport de combat d’un côté et arts martiaux de l’autre.
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