Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les neurosciences, ça risque d’être un choc. Les conclusions du livre écrit par Anil Seth, professeur de neurosciences cognitives et computationnelles, peuvent surprendre : nous ne percevons pas le monde, nous l’hallucinons. Il s’agit d’une hallucination contrôlée pour être plus exact. Contrôlée signifie que nous corrigeons en permanence cette hallucination. En fait, nous anticipons le monde, et nous vérifions nos anticipations.
C’est une véritable révolution copernicienne de l’esprit qui est proposé ici. Ni plus, ni moins.
Ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas d’une posture métaphysique, c’est la conclusion des recherches actuelles sur le cerveau et c’est totalement raccord avec d’autres recherches telles que celles de Stanislas Dehaene. Les implications sont profondes et nombreuses.
Seth aborde le problème de la conscience sous l’angle de ce qu’il appelle le problème « réel » de la conscience, qui diffère du désormais célèbre problème « difficile » de la conscience formulé par le philosophe David Chalmers. Il s’agit concrètement d’expliquer la phénoménologie de notre monde intérieur, c’est-à-dire les bizarreries de nos « perceptions », comme les illusions d’optiques ou sonores (qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg).
Chose remarquable dans le modèle explicatif de Seth, les actions ne diffèrent pas des perceptions. Pour voir une tasse de café, nous anticipons ses caractéristiques (sa forme, sa couleur, la légère vapeur qui s’en dégage, etc..) et pour boire le café de la tasse, nous anticipons le rebord de la tasse qui touche nos lèvres et le liquide chaud qui coule dans notre bouche.
Je le répète pour que ce soit bien clair : tout ceci est démontré par tout un tas d’expériences sur le cerveau que je ne peux pas décrire ici, le livre est là pour ça.
Il va encore plus loin, il explique que le « moi » est aussi une hallucination contrôlée. Tenez-vous bien, il s’agit d’anticiper votre propre homéostasie interne future. Le moi, c’est « ça », l’anticipation de vos futures variables internes (l’acidité du sang, le taux d’oxygène, la température du corps, etc.). Et les émotions ne sont « que » ça, des hallucinations contrôlées indiquant et gérant l’état interne de votre corps.
Le temps qui passe est aussi une hallucination. Nous apprenons que c’est une fonction de la complexité de nos perceptions : plus elles sont complexes, plus le temps passe « lentement » et inversement. Ce qui n’est pas tellement nouveau quand on y pense : quand nous dormons, nos perceptions très simples et le temps passe vite, nous ne nous rendons pas compte des heures qui passent. Mais, je le redis encore une fois, là, ça a été mesuré en labo dans différentes situations.
Le livre est rempli de description d’études qui permettent de toucher du doigt ce que j’explique dans cet article de manière très abstraite. Il est facile à lire.
Parmi les points intéressants qui sont soulevés, je retiens deux autres choses :
- Les chercheurs commencent à mettre au point des mesures du niveau de conscience qui donnent plutôt de bons résultats cliniques (pour les comateux notamment)
- Le « principe d’énergie libre » de Karl Friston, qui relie cognition, évolution et thermodynamique. Du point de vue théorique, c’est une véritable révolution, j’y reviendrai à l’occasion.
D’accord, vous allez me dire, mais qu’est-ce que ça change au juste ?
Premièrement, le plus remarquable dans ce livre, c’est que finalement la science rejoint les affirmations de la spiritualité non-dualiste, l’advaita vedanta (entre autre), le moi est une illusion, le temps est une illusion. À la différence que ces voies spirituelles explique que nous pouvons transcender ces illusions. Ce serait intéressant qu’un jour une personne qui l’a fait aille passer un scanner. C’est le domaine de la « neuro-spiritualité » ou « neuro-théologie » : étudier les expériences mystiques de manière scientifique. Il commence à se développer.
Deuxièmement, ça explique que quand nous sommes sous drogues psychédéliques, il ne se passe rien de différent de l’état de veille normal : c’est une hallucination, certes moins contrôlée, mais pas de nature différente. Cela explique pourquoi nous pouvons entrer en transe, en hypnose, en rêve, etc. Il n’y a que différentes formes d’hallucinations en définitive. Ce qui ne veut pas dire qu’elles se valent toutes.
Troisièmement, nous entrevoyons comment il est facile de nous manipuler au fond (un peu comme les parasites qui injectent des substances dans le cerveau de leurs hôtes pour les contrôler, en fait, il s’agit de modifier leur hallucination de base), et pourquoi les spiritualités proposent souvent comme objectif de nous « libérer » de ces illusions. Attention, vous n’allez pas cesser d’halluciner, vous allez juste être conscient que ce sont des hallucinations et pas la « réalité ».
Avec Antonio Damasio, Stanislas Dehaene, et bien d’autres, Anil Seth participe à la renaissance 2.0, une nouvelle compréhension de l’homme et du monde qui débouche sur une véritable science de la spiritualité et qui finira par infuser dans nos institutions à un moment ou un autre (j’y reviendrais).
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